Chapitre 2 de Secret Love Song

titre secret love song maeva catalano

 

(Re)lire le chapitre 1.

16 juin.

Paris.

La première partie finit de saluer la foule alors que je cherche ma sœur des yeux. Je n’ai finalement pas pu la rejoindre dans la fosse. La salle était déjà beaucoup trop bondée quand je suis rentrée. Héléna ne semble pourtant pas s’en soucier. Collée à une rambarde, elle attend son groupe préféré avec une hâte grandissante. Je me suis réfugiée sur un balcon sur le côté de la scène, avec d’autres adultes. De là-haut, je peux toujours surveiller ma sœur en contrebas et voir la scène qui surplombe le reste. Héléna et moi avons passé deux après-midis très différentes : alors qu’elle rencontrait les Coffee First pour les entendre répéter après une séance photo, j’étais dehors à essayer de rattraper dix ans de vidéos du groupe. J’ai bien cru que mon téléphone allait rendre l’âme. Il fallait que je me rende à l’évidence : c’était bel et bien Ben Walker qui m’avait donné son briquet et j’avais été trop bête pour ne pas le reconnaître. 

Les Bonnie & Clams quittent la scène sous un tonnerre d’applaudissements. Mon téléphone vibre : ma sœur profite de la pause pour m’envoyer la photo de sa rencontre avec ses idoles, prise quelques heures plus tôt. Je suis sûre que l’image est déjà partout sur internet, connaissant Héléna. Elle s’occupe aussi d’un compte source sur le groupe après les cours. Depuis un an maintenant, elle gère avec d’autres camarades un fansite français suivant les actualités des Coffee First. Héléna est la membre attitrée du compte Twitter. Elle passe des heures à poster toutes les news touchant de près ou de loin à ses héros. Je n’ose pas imaginer la quantité de travail qu’elle aura après le concert. Ma petite sœur est passionnée, et c’est ce que j’aime chez elle.

Je découvre la photo et mon cœur se serre d’émotions. Héléna a l’air si heureuse. Son sourire est gigantesque, ses yeux brillent. On ne voit presque plus son corps, entourée de trois imposantes paires de bras. Au milieu de ce câlin de groupe se trouvent Ben et son fidèle bonnet, encerclés par ses camarades. Je reconnais les cheveux roux de Teagan qui ferme le câlin à côté de ma sœur. Du côté du leader du groupe, c’est le bassiste, Kenneth, qui se presse contre ce sandwich improvisé. Je transfère la photo à nos parents, mais il y a de grandes chances pour qu’elle soit déjà imprimée et encadrée à la maison.

Soudainement, les lumières s’éteignent. Ça hurle de partout, c’est assourdissant. Le sol vibre sous les piétinements de la foule et je me prête au jeu. Je suis submergée d’un frisson qui parcourt l’ensemble de mon corps. J’avais oublié à quel point les concerts m’avaient manqué, à quel point l’énergie de fans de musique est si communicative. Les premières notes se font entendre sous les hurlements toujours plus bruyants de la foule. Ben apparaît sous un halo de lumière, une main posée sur son micro, l’autre sur sa guitare. Son sourire est éblouissant et mon estomac se noue. C’est ce que ressent Héléna à chaque fois qu’elle les écoute ? 

Le chanteur est à tomber : il porte un jean serré dans lequel il a rentré une chemise noire légèrement ouverte. On devine en transparence un tatouage sinueux sur le dessus de son torse. Au niveau de son col ouvert pend un pendentif fleuri. Walker commence à chanter d’une voix qui me secoue tout entière. Son timbre est à couper le souffle. Ce n’est pourtant pas la première fois que je l’entends chanter, mais les enregistrements radio ne font pas justice à sa technique. La batterie qui vient de commencer à jouer se calque sur le tempo de mon cœur. À moins que ce ne soit mon rythme cardiaque qui ne suive les percussions de Teagan.

L’Irlandais porte une veste de costume ouverte sur son torse nu et un pantalon assorti. À en juger par sa manière de jouer, je ne suis pas sûre que les manches de la veste fassent long feu. Il manie les baguettes avec une telle dextérité, j’en suis presque hypnotisée. J’ai du mal à m’empêcher de remuer. Je reporte mon attention vers le bassiste, Kenneth. Je remarque avec amusement que l’Anglais d’origine coréenne est pieds nus. Il porte un t-shirt long aux manches retroussées et chante les chœurs la bouche collée contre son micro.

Un coup d’œil vers la fosse me confirme que ma sœur est en train de vivre la meilleure soirée de sa vie. Héléna suit l’ondulation de la foule et chante à tue-tête des paroles des plus explicites. D’habitude, je me serais plutôt inquiétée que ma sœur connaisse sur le bout des doigts des chansons parlant aussi ouvertement de sexualité. Mais le rythme est si entraînant, la voix de velours de Ben si envoûtante, que je rejoins le reste du public dans sa transe. Les Coffee First ont commencé leur setlist par le morceau qui a donné son nom à leur tournée : « Miracle ». Je pensais pourtant entendre la mélodie bien plus tardivement. La chanson est une invitation au vice, une ballade aussi sexy que rock. Au moment où Ben entonne le refrain, ils m’ont déjà conquise :

« Our bodies in between the sheets, 

It’s like a miracle, a miracle, 

Nothing holy about your mouth on my skin, 

Your taste is my favorite sin, 

Waking up from a sleepless night with you 

Is like a miracle, miracle »*

Les chansons défilent et je m’oublie complètement. C’est comme si ce concert était une hallucination collective : une porte hors du temps où les fans s’abandonnent et peuvent être eux-mêmes. Les voix des trois garçons ont quelque chose de magique. Le groupe donne du sien sur scène et les membres sont trempés de sueur. Ken, Teagan et Ben sont en réelle communion, entre eux et avec les fans. Ils jonglent entre chansons et blagues avec la foule et se risquent même à quelques mots en français. Je trouve l’attention mignonne et j’avoue malgré moi que leur accent britannique fait fondre l’ado en moi. J’en oublie presque que je suis venue accompagner Héléna…

Le rythme ralentit peu à peu, pour laisser la place aux morceaux plus lents, plus tortueux et torturés. Un brin de romantisme s’installe dans le timbre séducteur et agressif de Ben. Teagan s’adoucit et installe un rythme plus doux, digne des plus belles déclarations d’amour. La basse de Ken complète l’ensemble et sa façon de jouer touche une corde sensible. Leurs paroles sur les ruptures me feraient presque regretter Lilian.

Les boucles mouillées de Ben lui retombent sur les yeux. Sa chemise est déformée par ses mouvements et a perdu quelques boutons au cours de ses danses lancinantes et de ses sauts sur scène. Les premiers rangs s’excitent alors qu’il s’approche du pied de son micro, tout près de la fosse. Il y pose sa guitare pour boire un coup et asperger les spectateurs. Les fans tendent les mains et le chanteur laisse échapper un rire qui nous cueille tous. D’un mouvement de main dans ses cheveux, il déclenche les cris.

— Paris ! il s’exclame et la salle tout entière lui répond. Est-ce que quelqu’un aurait un élastique ?

Une horde de chouchous arrivent sur scène et je réalise alors que c’est une tradition bien établie avec le groupe. Je comprends mieux pourquoi Héléna a passé notre trajet en train à vouloir nouer de petits papiers à une dizaine d’élastiques. Elle m’avait simplement expliqué qu’elle y avait écrit son pseudo Twitter.

Ben se penche pour ramasser le fameux élu sous les exclamations des fans. Alors qu’il fait son cinéma, Teagan et Ken se sont éclipsés. Un ingénieur du son a poussé un piano au centre, juste derrière le chanteur. Ben finit de nouer son chignon sur l’arrière de son crâne et prend position au clavier. Ses doigts habillés de bagues effleurent les touches alors qu’il relève la tête dans ma direction.

Il arque un sourcil vers l’endroit où je me trouve et mon cœur rate un battement. J’aimerais tellement qu’il me reconnaisse, qu’il me voit. Mais entre les lumières et les centaines de têtes à côté de moi, je sais que c’est impossible. Et pourtant le doute s’installe quand un sourire énigmatique se dessine lentement sur ses lèvres. Le pianiste se penche vers le micro alors qu’il entame les premières notes de sa ballade sur le clavier. Mais alors que je trépigne d’impatience à l’idée de l’entendre chanter, il s’adresse à la foule :

— Si vous êtes fans, vous connaissez pertinemment la chanson qui va suivre. Elle raconte l’histoire d’un garçon qui pensait être le roi du monde avant que la femme dont il est tombé fou amoureux ne le remette à sa place. 

Ben parle d’une voix douce, presque sur le ton de la confidence. Nous sommes tous pendus à ses lèvres. Il marque une courte pause et continue de faire valser ses doigts sur les touches.

— Avant de commencer, j’aimerais te raconter une anecdote, Paris.

La salle réagit à l’unisson et je me surprends à me pencher en avant. J’ai presque l’impression qu’il va nous livrer un secret.

— Aujourd’hui, j’ai rencontré une fille. Comme un idiot, j’ai tout de suite pensé que cette jeune femme était une fan. Alors je lui ai proposé de prendre une photo, car je croyais vraiment qu’elle n’osait pas demander. En fait, elle ne savait pas du tout qui j’étais, finit-il en riant.

La foule est partagée entre rires et huées. Personnellement, je deviens rouge jusqu’à la racine des cheveux. Toujours aussi doux, les yeux marrons du chanteur se reportent une nouvelle fois vers ma direction.

—  On peut dire qu’elle m’a fait prendre une bonne douche froide, il reprend avec un sourire. Et c’est parfois ce qui nous manque en tournée, un retour à la réalité. Paris, voici « Humble », il conclut.

Sans plus de cérémonie, Ben se met à chanter. La ballade est si belle que je n’arrive plus à discerner ses mots. Les paroles se brouillent dans mon esprit et sous l’emprise de l’émotion, les larmes me montent aux yeux. Je ne suis pas la seule : tout autour de moi, les fans agitent lentement les bras, avec pour seule lumière le flash de leurs téléphones. C’est magnifique. Le désespoir dans la voix de Ben me prend aux tripes. Je porte une main à ma bouche, n’en revenant pas. Je suis à deux doigts de laisser mes larmes couler. C’est la simplicité du morceau qui en fait sa force : avec seulement sa voix et son piano, Ben a réussi à mettre toute la salle à terre. Quand la chanson prend fin et que les applaudissements retentissent, j’ai l’impression qu’on vient de percer ma bulle. Alors qu’il salue la foule, ses camarades reprennent leur place pour la suite du concert. Avant de reprendre sa guitare, Ben détaille le public lentement. Ses yeux s’attardent une nouvelle fois à mon niveau. 

Je me persuade aussitôt avoir rêvé.

*« Nos corps entre les draps forment un miracle, un miracle,
Rien de saint ni de sacré à propos de ta bouche sur ma peau,
Ton goût sur ma langue est mon péché préféré,
Me réveiller avec toi d’une nuit sans sommeil
C’est comme un miracle, un miracle. »

***

 

 

Le Bulletin Parisien

 

Publié le 17 juin à 14h52.  Christiane Lelong.  188 commentaires.

 

Le succès mondial Coffee First est passé par la capitale hier pour un concert en toute intimité. Le trio britannique nous a fait l’honneur de répondre à quelques questions avant de se rendre en répétitions. Malgré les dix ans de carrière, Teagan Kelly, Kenneth Jeon et Benjamin Walker restent très attachés à leurs fans et à leur équipe. Si vous êtes passés à côté d’un des plus gros groupes de tous les temps, voilà quelques lignes afin d’apprendre à les connaître.

Le Bulletin Parisien : Coffee First, ce n’est pas bizarre comme nom pour des Anglais ? Pourquoi pas une tasse de thé ?

(Rires.)
Ken : Dix ans et on nous pose toujours la question ! En fait, c’est une anecdote assez banale.
Teagan : On doit le nom du groupe à ma femme, qui était ma petite amie à l’époque.
Ben : On cherchait un nom qui sonnerait bien. On s’est cassé la tête pendant des heures. Finalement on s’est dit qu’avant de prendre une décision, il faudrait d’abord finir notre café. (NDLR : « finish our coffee first. »)
Teagan : C’est là que Jess nous a arrêtés. Ça sonnait bien, on a décidé de le garder.
Ben : Mes parents sont fans d’Elton John. Ils voulaient qu’on s’appelle les Bennie & the Jets, mais T. et Ken n’étaient pas d’accord… (il fait un clin d’œil.)

Vous remplissez toujours de plus petites salles en France. Comment expliquez-vous ce changement par rapport aux autres pays ?

Ben : Les Français ne nous aiment pas ? C’est ça que vous essayez de dire ? (Rires.)
Teagan : Je ne sais pas, en tout cas c’est toujours un plaisir de revenir à Paris. La ville est magnifique.
Ken : J’aimerais bien qu’on refasse une mini tournée en France comme il y a cinq ans. C’était fun ! On avait fait Lyon, Marseille et… ?
Teagan : Toulouse, non ?
Ken : Ouais, Toulouse !
Ben : Vous allez trouver ça cliché, mais ce n’est pas la taille qui compte. (ses deux camarades s’empêchent de rire.) Peu importe la salle, c’est l’énergie des fans qui fait un concert. Il n’y a qu’en France que je ne prends autant de plaisir. Les fans français sont spéciaux.
Teagan : Tu devrais pas dire ça, tu vas faire des jaloux…

Qu’est-ce que vous aimeriez dire à vos détracteurs ? Ceux qui vous appelaient un boys band et qui ne vous donnaient même pas cinq ans après votre premier album ?

Ken : On est des garçons. On a un groupe. Ils peuvent nous appeler boysband s’ils le souhaitent. (Il hausse les épaules.)
Teagan : Ils peuvent aussi passer par notre maison de disque. On a quelques disques de platine à leur montrer.
Ben : Qu’ils montent sur scène avec nous pendant un an. Plus on est de fous, plus on rit.

Vous restez toujours discrets sur vos relations amoureuses. La célébrité peut être un fardeau, mais est-ce qu’elle vous aide amoureusement ?

Teagan : Je suis marié. Pas sûr que cette question soit faite pour moi…
Ken : Je préfère ne pas répondre à cette question. Désolé.
Ben : Ma dernière relation a fait couler beaucoup d’encre. Pour l’instant mon seul amour, c’est notre musique. Et ça me va très bien comme ça.

 

Retrouvez les Coffee First en tournée dans toute l’Europe au mois de juin.

 

Retrouvez Ben et Flo dans Secret Love Song.

 

secret love song ebook