PROLOGUE

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Ma joue froide et mouillée de larmes repose sur l’asphalte. Mes doigts aux ongles rongés tentent vainement de s’ancrer dans la pierre, mais la roche est aussi impénétrable que du marbre. Peut—être bien parce que c’est du marbre. De la terre reste sous mes ongles décharnés.

Je ne ressens plus rien, je ne suis qu’une coquille vide. Même mes yeux semblent las de pleurer.

Que vais-je faire maintenant à part me laisser aller, attendre que la faucheuse vienne me chercher et rester sur cette tombe jusqu’à ce que mort s’ensuive ? Je suis pathétique, une petite fille à qui on a tout ôté et qui se retrouve désespérément seule, à se lamenter dans son coin.

Ma vue se brouille et je n’ai même plus la force d’essuyer mes cils chargés de larmes. Mes mains, mon corps tout entier, semblent peser une tonne. Je ne tente pas de bouger.
Je parais murée dans cette paroi qui me sépare du cercueil, seulement à quelques mètres en dessous de moi. Je ferme les yeux, fatiguée. Tout ce qui m’entoure s’imprègne d’une odeur de brûlé, de terre, de mort.

On m’a tout enlevé, toute raison de sourire, de respirer. L’air me paraît dur et âpre, inutile à inhaler.
On m’a arraché tout ce que j’aime, tout ce qui me permet d’avancer, d’exister. En ce moment même, alors que mes épaules sont secouées par mes sanglots acides, je suis allongée sur la tombe d’Angel Cœur de Lion.

Il manque celle de Nael. Car lui aussi m’a quitté. Lui aussi m’a laissée seule, sans protection et sans personne à me raccrocher.
Le cercueil et la tombe du vampire rejoindront bientôt l’emplacement sur lequel je suis étendue, sans la moindre force de bouger.

Oui, il sera lui aussi bientôt inhumé puisque, lui aussi…

Nael.
Il est mort.

 

Chapitre 1

Égratignures

Angel Cœur de Lion

Tout n’est que feu autour de moi et j’ai du mal à respirer, la fumée obstrue mes poumons. J’avance à tâtons dans une surface inconnue et je devine au fur et à mesure que ce n’est que mon lycée, rongé par l’incendie.
Rien de tout ça n’est vrai, c’est impossible. J’aurais dû être morte depuis longtemps, l’odeur de cendre imprègne mes cheveux et mes vêtements, les flammes calcinent ma chevelure.

Mais je suis toujours là, à poursuivre ma route vers l’infini, seule au milieu d’un cercle de feu, sans que personne ne vienne à mon secours.
Peut-être qu’ils sont déjà tous morts, que je suis la seule et unique rescapée. Pourquoi je n’entends pas les sirènes et gyrophares au loin ? Pourquoi ni la police ni les ambulances ne viennent me sauver ? Ma vie a-t-elle si peu d’importance ?
Sans doute croient-ils que les élèves ont tous péri, sans la moindre exception. Si c’est le cas, je dois au plus vite trouver une issue : c’est déjà un vrai miracle que je ne me sois pas étouffée tant l’air était pollué.

Rien de tout ça n’est réel, je le sais maintenant. Je passe ma main dans un geyser de flamme : pas la moindre once de feu ne me brûle. Je ne sens absolument. Même pas une pointe de douleur.
Tout ceci n’est que fictif, imaginaire. Alors pourquoi une crainte me taraude-t-elle l’esprit ? Pourquoi un poids comprime-t-il ma poitrine ? Pourquoi une peur me déchire-t-elle le ventre ? Et si… j’étais morte ?
C’est plausible. L’idée est même complètement acceptable. Il se peut que je ne sois qu’un fantôme, une âme morte, mais qui n’en a pas encore conscience et qui hante les décombres de son lycée… qui vient de brûler après l’explosion.

La bombe.

Mais si je suis morte, si je ne suis qu’un esprit en perdition… pourquoi personne ne vient me chercher ? N’y a-t-il pas d’autres morts ? Ou alors, sont-ils tous passés de l’autre côté sans même m’attendre, sans même laisser un regard derrière eux pour moi ?

J’aurais voulu juste un signe, quelque chose qui m’indique quelle attitude adopter, quel chemin prendre. Je suis peut-être la seule âme, car… les autres n’en ont pas ? Est-ce que les créatures magiques ont toutes un esprit qui perdure après leurs morts ? Ou bien en sont-ils privés ?
Je parle et réfléchis comme mon père ! Si j’ai une âme alors les autres aussi ! Les êtres fantastiques sont tout aussi humains… à leur manière !
Mais… et les créatures censées être maléfiques ? Les loups-garous, les géants, les vampires ? Ont-ils une âme, eux aussi ? Une fois morts, brûlés, anéantis par cet incendie dévorant, sont-ils directement descendus aux enfers ?

Nael a-t-il quitté ce monde sans même avoir l’occasion de me serrer dans ses bras, de me dire au revoir ?
Je ne préfère pas y penser. C’est impossible que je me fasse à cette idée. Si Nael m’a quitté, s’il ne m’est plus donné de le revoir… alors plutôt mourir ! Enfin, si ce n’est pas déjà le cas…

Des bribes de souvenir me reviennent. Je me revois durant cette année mouvementée, à courir après le temps, à vouloir échapper à mes origines, ma famille… à celle de Nael également. Son frère jumeau qui veut me tuer, dans l’espoir d’assouvir une vengeance avortée qu’il a enfouie en plus profond de lui-même… Et puis le retour des sentinelles, ma perte de mémoire partielle, mes recherches vaines pour retrouver ce cher Nathanael James Luckin…

Et mon père, qui débarque avec une bombe sur le torse, et qui, malgré mes supplications, a fait exploser mon lycée. Mon petit ami avec.
Mais je dois le trouver, il doit être quelque part, caché, à m’attendre. Peut-être même recroquevillé dans un coin, à la proie des flammes. Car j’ai fait ça. Je suis responsable. C’est mon sang, celui des miens.

La disparition de Nael n’est pas une option. Sans lui je ne peux pas poursuivre… Sans Nael, le combat est vain. La déchéance et le néant m’attendent à bras ouverts…
Tellement de questions me parcourent. Mes méninges, s’embrouillent, se défont, et s’emmêlent à nouveau comme une pelote de laine. Mes idées ne sont qu’une ribambelle de mots perdus, incohérents, et mes interrogations tambourinent mon crâne. Il y en a trop, elles labourent mon cerveau, elles le martèlent à coups de pioches.
Mais soudain, le voilà.

Je l’aperçois au loin, il me regarde, impassible. Ses poings sont serrés, son regard vide et il semble même voir au-delà de moi, me transpercer de sa vue, comme si je n’étais qu’un obstacle inoffensif, comme une vitre en verre, désespérément invisible.

Son t-shirt est brûlé, calciné même. Son pantalon a disparu partiellement dans la suie et la fumée. Je ne vois sa silhouette que dans un halo de lumière, un trou laissé par les flammes. Je sais que cette porte enflammée va se refermer, qu’il va disparaître à tout jamais, que je ne pourrais pas le rattraper. Pourtant, je n’ose pas faire un pas.
Nael.

La dernière chose que je vois, c’est ses yeux bleus, inexistants, et sa mâchoire crispée.

Puis son visage entouré de flammes.

 

La suite dans le dernier tome de Angelheart, Tigerheart…