Premiers chapitres d’Amitchigan

Prologue

 

Bad at love – Halsey

 

Amitchigan : n.n. Sens 1 : Mot-valise contenant amish, Mitch, et Michigan. Sens 2 : Surnom et titre d’une qualité médiocre.
Amish : adj oun. Invariable. Sens : Communauté anabaptiste, ou mennonite, attachée aux traditions, présente généralement en Amérique du Nord, dont les règles de vie semblent austères. Leur principale maxime est : « Tu ne te conformeras point à ce monde qui t’entoure ».
Mitch : n. propre. Sens : Diminutif de Mitchell, nom d’origine anglaise dérivé de Michael.
Michigan : n. propre. Sens : État du Mid-Ouest des États-Unis, dont la capitale est Lansing, mais dont la ville la plus connue est Détroit. Son nom d’origine, amérindien, est « Mishigamaw » qui signifie « Grand Lac ». État où les faits divers résultent souvent du port d’armes ou de fusillades.
In gun we trust : Sens 1 : Devise nationale et détournée des États-Unis. Sens 2 : Jeux de mots douteux.
Gyver : n.propre. Sens 1 : Composite du nom de famille d’un célébrissime personnage télévisé, plutôt intelligent et capable de tout créer, même un hélicoptère, à partir d’un élastique, d’une barrette à cheveux et de son cher et tendre couteau suisse. Sens 2 : Prénom d’une héroïne malchanceuse à la langue bien pendue et dont le père a visiblement un humour contesté.
Barmaid : n.f. Sens 1 : Féminin de barman, employée de bar. Profession souvent accompagnée d’une mauvaise image ou d’une réputation malsaine, stéréotypée par la société comme étant une fille à grosse poitrine n’ayant pas fini ses études et possédant un tatouage honteux. Sens 2 : Profession de notre héroïne, fille à grosse poitrine n’ayant pas fini ses études et possédant un tatouage honteux. Sens 3 : Profession dont le plus dur étant de bien réaliser ses cocktails et de ne pas boire tout l’alcool derrière le comptoir.
Tatouage : n.m. Sens 1 : Dessin habituellement décoratif ou symbolique, inséré dans la peau par de l’encre, avec ou sans douleur. Sens 2 : Résultat d’une soirée bien top arrosée dont on ne garde aucun souvenir, qui se résume par l’esquisse d’un soleil au creux des cuisses.
Amour : n.m. Sens : Ça n’existe que dans les contes de fées. Le reste, c’est des conneries.

 

Chapitre 1

Natalia Kills – Rabbit Hole

 

« Une opportunité n’est jamais perdue… quelqu’un d’autre prendra celle que vous avez laissé passer » — Proverbe amish

 

Je monte dans la voiture et m’installe confortablement sur mon siège dont les ressorts me rentrent dans les fesses. Je checke mon rétro. Non, je ne suis pas une fana de l’auto-école, je vérifie simplement que mon rouge à lèvres « rouge-pétasse chanel-580 » n’a pas débordé de mes lèvres charnues.
Je m’appelle Gyver, j’ai vingt-quatre ans et toutes mes dents.
Ça y est, j’ai épuisé le quota de blagues douteuses, vous pouvez continuer de lire tranquillement.
Ma mère, Savita, était indienne, et j’ai hérité de sa longue chevelure de jais, aussi lisse que la peau d’une starlette liftée une fois de trop. Lorsque ses parents ont appris qu’elle était tombée enceinte au lieu de suivre traditionnellement ses études, disons simplement qu’ils n’étaient pas des plus réjouis. Ils l’ont obligée à m’abandonner à la naissance avant de lui payer un aller simple pour l’Inde dont elle n’est plus jamais revenue. Fin de l’histoire. Mon père, Jonas Samuels, lui, a dû s’occuper seul de mes petites fesses. À l’époque, étudiant de l’école de police, il est à présent inspecteur.
On peut dire que je pèse dans le game. Un beau mètre quatre-vingt, tout en jambes, j’aurais pu facilement devenir mannequin. Mannequin plus size, à la limite. Mais à l’adolescence, l’univers s’est mis en travers de ma route :

— Non, malheureuse ! a crié cette conne de mère Nature. Tu es bien trop maigre, tu manques de proportions !
Du coup, je fais une taille 42. Je le vis bien et je ne m’en plains pas. Mes pare-chocs avant et arrière sont fermes et font beaucoup plus tourner les têtes que l’épave que je conduis. Mme l’épave, s’il vous plaît.
On m’a toujours qualifiée de « bonne poire ». Rien à voir avec mon caractère, loin de là. On moque ainsi la circonférence de mes fesses. Les plus diplomates disent « callipyges », mon cul ouais ! Je suis bâtie comme un tabouret et je crie à qui veut bien l’entendre que les formes des femmes sont comme les poches d’un jean : sans elles, on ne sait pas où poser les mains.
Enfin ça, c’est ce que je raconte officiellement. Officieusement, je torture mes cuisses tous les jours avec des crèmes anti-peau d’orange – le mot « cellulite » me donne envie de vomir.
Quoi qu’il en soit, je suis une fille en quête d’aventures et j’ai déjà payé un baptême de l’air à une multitude de choses ! Les boutons de mes jeans taille 38, par exemple. Si tu pensais que le portrait de la charmante créature que je suis était fini, tu te trompes ! J’ai gardé le meilleur pour la fin : je vis dans le Michigan et, en plus de ça, à Détroit, alias la ville la plus accueillante de l’Amérique et du monde.
Non, je déconne.
Ah, j’oubliais le coup final : je suis barmaid ! Si tu as un joli minois, à toi les mojitos gratos ! J’étais destinée à devenir avocate. Après un an en droit et les poches aussi vides que celles d’un pigeon qui amène sa copine faire les boutiques chez Prada. Finalement, j’ai écumé les bars et me suis retrouvée derrière le comptoir.
Je coupe le moteur quand j’arrive devant la boîte. C’est l’heure de me payer un petit quatre heures. Du bon temps, si vous préférez le terme exact. Je vais rejoindre Johnny, mon pseudo petit ami/plan cul/patron de la boîte dans laquelle je travaille. Ne vous méprenez pas.
Avec Johnny, on se connaît depuis très très très longtemps. Et je crois qu’on couche ensemble depuis presque autant de temps. Oui, un siècle, ça peut être long, mais avec Johnny, qu’est-ce que c’est bon ! Je vous rassure, je ne suis pas le genre de fille qui couche avec quelqu’un pour avoir un job. Quoique.

Johnny et moi, ça a commencé bien avant qu’il ne m’engage. Ce gars est un véritable « lendemain d’orgie ambulante ». Bon, le souci, c’est peut-être sa taille. Non, je ne parle pas de ce qu’il a dans le pantalon, car je n’ai pas à m’en plaindre, mais de sa vraie taille : 1m72, à côté de moi, ça fait peine à voir.
Alors quand je bosse, j’évite de mettre des talons et je fais comme si je n’avais pas vu les petites talonnettes qu’il porte de temps à autre. Ah, les talonnettes ! Ça peut vous tuer une fille en chaleur !
Mais je n’ose pas trop cracher sur Johnny, c’est lui qui m’a tendu la main – et pas que – quand j’en avais le plus besoin. Son père possède plusieurs boîtes dans la région et, vu que par ici, les gens n’ont rien d’autre que danser et boire pour rêver, il a décidé d’installer le Pink Paradise en plein milieu de Détroit et d’y placer son fils en gérant. Ça marche bien. Très bien, même.
Les gars viennent pour boire et se faire des filles, les filles viennent pour boire et se faire Johnny. Le cycle habituel des choses. Il faut avouer qu’il n’est pas le gars le plus moche de la Terre. Bien fait, un peu trapus, mais musclé, un visage particulier à la James Caan jeune qu’on ne peut oublier, et des cheveux blonds, plaqués en arrière et dont aucune mèche ne dépasse. Sa chevelure défie la gravité. Après tout, il a peut-être un contrat avec Schwarzkopf — un nom pareil ce n’est pas facile à écrire sur une liste de course —, histoire d’épuiser leur stock de gel. Le seul problème avec ce beau parleur, c’est son caractère de merde. Comme quoi, on ne peut pas tout avoir.
Je ne méprise pas les hommes, je les connais. Je ne cherche pas l’amour, mais le plaisir. Un personnage de Lorenzaccio disait « Toutes les femmes sont faites pour coucher avec les hommes. » Ça peut sembler machiste. Ça l’est. Mais pas quand on le tourne à notre avantage. Les hommes le font depuis des millénaires et on ne leur fait aucun reproche. Qui est à blâmer ? Pas moi.

Je pénètre dans l’établissement avec un grand sourire : il est bien trop tôt pour que le bar ouvre, on sera tranquilles. J’effleure le comptoir où j’ai servi et dansé hier soir — enfin plutôt très tôt ce matin — en me dirigeant vers l’escalier situé tout au fond de la salle. Il est censé mener à l’appart’ de Johnny, qui se trouve au-dessus de la boîte, et à son lit, évidemment.
Mais j’entends des bruits étouffés dans la réserve. Des gémissements. Forts. Très forts. Ne me dites pas que… Putain ! La blondasse aux seins à l’air hurle de surprise lorsqu’elle m’aperçoit, tandis que Johnny éclate de rire. Elle essaie de s’éloigner de lui, mais ça paraît assez difficile étant donné l’étrange figure gymnastique que je ne saurais décrire et dans laquelle ils sont coincés.
J’hésite entre rigoler à mon tour ou laisser la jalousie m’envahir pour ensuite exploser. Oui, je suis vexée.
1- Parce qu’ils ne m’ont pas invitée à leur petite sauterie et qu’ils avaient l’air de bien s’amuser.
2- Parce que la pouffiasse qu’il était en train de tringler fait au moins six tailles de moins que moi. La garce ! Elle doit sûrement s’habiller au rayon enfant.
Je suis tentée de faire bouffer à Johnny les maigres réserves de pelouse de Détroit, mais en apercevant ce qui dépasse du string de la demoiselle, je me dis qu’il a déjà eu sa dose.
Johnny a fermé la fermeture éclair de son jean et attend patiemment que la blondasse reboutonne son chemisier. Ses joues sont aussi rouges que son soutien-gorge et ça pique les yeux. Je fulmine comme une gamine à qui on a volé son jouet tandis que la fille s’éclipse, morte de honte.
C’est la nouvelle barmaid, celle qui me remplace les mardis et samedis. Double garce ! Johnny aime faire tourner les serveuses pour que les clients ne s’ennuient pas. Il a étendu ce concept jusqu’à ses draps, visiblement.
Non pas que ça m’étonne. Johnny, c’est Johnny, un aimant à gonzesses. On pourrait placer ses conquêtes dans un puits sans fonds. Ce qui m’énerve réellement, c’est d’être tombée nez à nez — ou plutôt yeux à touffe non épilée — avec une d’entre elles.

— Gyver, bébé ! dit-il en s’approchant enfin.
Il tente de me caresser la joue, mais je repousse sa main.
— Tu ne vas pas bouder, quand même ?
Je roule des yeux avant de rétorquer :
— On avait un accord : pas de relations exclusives. Tu fais ce que tu veux, avec qui tu veux, quand tu veux, où tu veux, à condition que tu sois protégé et que tu n’exhibes pas ces filles à ma vue.
— J’étais simplement en train de m’échauffer pour toi, avance-t-il avec des coups des bassins suggestifs tout en cherchant à me faire décroiser les bras.
Il parvient à me décrocher un sourire, le salop ! Mais je ne veux pas le laisser s’en tirer comme ça.
— Ouais, un échauffement intensif avec une gymnaste squelettique.
— Écoute, si ça te rassure, je ne savais pas que tu arriverais aussi tôt. Je me ferai pardonner ce soir. J’ai juste besoin de douceur avant que tu ne me fasses la peau, ajoute-t-il avec un clin d’oeil.
Je suis sur le point d’ajouter quelque chose de peu poli quand mon téléphone sonne.
Aïe. Soit j’ai des ennuis, soit j’ai des ennuis. Mon père n’appelle jamais en journée. En fait, il ne le fait pas du tout. Il faut que je passe au poste pour le décrocher de son travail, quitte à me faire arrêter pour « exhibitionnisme sur la voie publique ».
— Allo ? je réponds timidement, ce qui ne me ressemble pas.
— Gyver ? J’ai un service à te demander.
Qu’est-ce que je disais ?! Ça n’augure rien de bon. J’ai envie de frapper Johnny, car il s’amuse à me titiller en me caressant l’intérieur de la cuisse, là où se trouve mon tatouage en forme de soleil, résultat d’une soirée arrosée dont je n’ai absolument plus aucun souvenir. Le point positif, c’est que j’ai échappé au papillon rose au bas du dos, signature de toute strip-teaseuse qui se respecte — ou qui ne se respecte pas du tout, si on part par là.
— J’ai besoin que tu viennes tout de suite à l’hôpital.
Je me raidis.
— Tu vas bien ? je m’écrie presque d’une voix suraiguë.
— Oui, ne t’inquiète pas. Mais pour une procédure, j’ai besoin que tu prennes en charge un témoin.
— Je ne fais pas de baby-sitting, papa !
— C’est plus compliqué que ça. Le petit gars s’est pris deux balles et ne s’est réveillé que ce matin. C’est un témoin clef pour mon affaire. J’ai besoin de le placer là où les ravisseurs ne le trouveront pas.
— Et tu as pensé à moi ? je ricane avec aigreur. Désolée, papa, mais je ne suis pas sûre que mon train de vie puisse convenir à un témoin comateux en rémission.
— Disons que, personnellement, je n’irai pas chercher un amish dans l’appart d’une jeune barmaid.
Un quoi ?

La suite dans Amitchigan…