Chapitre 2 de P.S. I Still Hate You

PS I STILL HATE YOU titre couleur

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(Re)lire le chapitre 1.

 

« This is why we can’t have nice things, Darling ; because you break them, I had to take them away » – This Is Why We Can’t Have Nice Things, Taylor Swift.*

 

Chico ?* Comme le petit-fils de Nonna ? Le meilleur ami d’enfance de mon père ? Ce mec n’est pas mon oncle. On a aucun lien de parenté. Ce que je retiens de tout ce que j’ai entendu sur lui, c’est qu’alors que ma mère accouchait à quinze ans, lui était condamné à cinq ans de prison ferme. Je ne sais pas ce qui lui a valu cette peine, mais ça devait être assez grave pour qu’on l’emprisonne avant même sa majorité. Il a fait trois ans dans un centre de détention pour mineur et les deux années suivantes dans une prison fédérale. Mes parents ont toujours été évasifs à propos de sa sentence. Tous ces faits remontent au moment de ma naissance, c’est peut-être flou dans leurs têtes. Ce qui est très clair par contre, c’est qu’il ne fallait pas prononcer son nom devant notre Nonna. Alors qu’est-ce que ce gars vient foutre ici à son enterrement, je me le demande. Je n’ai rien contre les repris de justice, surtout quand les crimes ont déjà été dûment payés à la société. J’ai plus de mal par contre avec la fuite et la lâcheté. Que tío* Chico soit passé par la case prison, je m’en tamponne. Par contre je n’arrive pas à digérer le fait qu’il ait abandonné Nonna pendant plus de deux décennies. 

Il n’était peut-être pas le bienvenu en ville. Les murmures autour de nous confirment mon hypothèse. Ce sont les mêmes qu’à la cérémonie. D’un côté, certains invités chantent ses louanges comme si c’était le retour du fils prodigue. De l’autre, il y a les récalcitrants et rancuniers, dont je fais partie. Ce gars risque d’être traité comme le pestiféré du coin le temps de son séjour. Mon père n’a pas l’air de s’en soucier. Je lis sur son visage une joie non feinte. Il est réellement heureux de retrouver ce soit-disant « oncle ».

Hija*, je te présente Luca Álvarez.

Le temps s’arrête. C’est lui. C’est Luca. Le fameux ami de la famille qui a donné son nom à mon jumeau. Rendre hommage à un prisonnier, mes parents en avaient de drôles d’idées. Je me demande pour quelle raison ils se sont sentis obligés de le faire. Ils m’ont donné le prénom de ma grand-mère paternelle, ce que je comprends. Pourquoi Luz se retrouve avec le patronyme d’un criminel en puissance, ça par contre, ça me dépasse.

Mon père me sort de mes pensées en m’empoignant l’épaule. Il me rapproche instinctivement de notre invité pourtant, j’ai déjà envie de fuir. Il s’attend à quoi ? À ce que je l’embrasse ? Très peu pour moi. Je ne sais pas grand-chose de cet inconnu, mais juste assez pour garder mes distances. J’espère qu’il comprend qu’il n’est pas le bienvenu ici. Pas après tout ce qu’il a dû faire subir à Rosa.

Luca, le Luca, darde sur moi ses grands yeux marron. J’en oublie presque mon prénom. Ça tombe bien, Papito* est là pour me le rappeler.

— Luca, voici ma petite perle, mon cœur, mon tout, Maria-Luisa.

Luisa, je le corrige entre mes dents.

Je déteste quand il utilise mon nom complet. C’est comme si je le présentais en tant que Diego José Carillo à qui veut bien l’entendre. Ça n’a pas de sens. Quoique, mon père est très fier de ses origines colombiennes. Si j’utilisais son patronyme à tout bout de champ, il se pavanerait sans doute comme un paon. 

— Enchanté Luisa, répond l’intéressé.

Mon prénom roule sur sa langue, et quand il prononce le « S », la lettre reste piégée un instant entre ses dents. Je dois me faire violence pour ne pas fixer sa bouche. Je réponds par un petit « Mmh-mmh » détaché qui fait hausser les sourcils de mon père. Il m’a connue plus polie. Ma mère m’a définitivement mieux élevée que ça. J’ai de la chance, elle est toujours en train de consoler mon frère Jaime. Sans ça, elle me traînerait sûrement par l’oreille devant tout le monde jusqu’à un coin de mur. Vingt-cinq ans ou pas, Mama* me fera toujours peur. Tant que je vis sous son toit, je n’ai nulle part où me cacher de son courroux. Ou de ses pantoufles.

Luca me présente une main amicale que je suis forcée d’accepter. Sa poigne est ferme, il est sûr de lui. Je fuis son regard et répond à son geste sans conviction. Je ne suis pas en train de me dérober ou de me soumettre à quoi que ce soit. J’ai juste autre chose à faire que d’accorder du temps à quelqu’un qui a pu causer du tort à ma grand-mère adoptive par le passé. Ce type ne m’intéresse pas. Nonna n’est même pas là pour le défendre. Qu’il retourne d’où il vient, et qu’on en finisse. 

La tension est palpable. Il nous faudrait un petit rayon de soleil pour détendre l’atmosphère. Ça tombe bien, j’aperçois mon frère Luz au loin. Il comprend immédiatement à mon regard qu’il ferait mieux de se ramener fissa. La télépathie entre jumeaux, ce n’est pas que des conneries ! Notre lien nous a sauvé la mise plus d’une fois. L’électricité dans l’air retombe lorsqu’il nous rejoint. Mon père fait les présentations et les sourires réapparaissent. Luca rencontre Luca, c’est comme si les planètes s’alignaient enfin. Je fais un pas en arrière, prête à m’éclipser. Avant de disparaître dans la pénombre qui tombe sur le jardin, j’observe une dernière fois mon frère.

Il est si rayonnant, si… lui. Il a toujours été le Roi Soleil. Vivre à ses côtés c’est comme évoluer avec la réincarnation d’Apollon, le dieu de la lumière. Moi je suis plutôt son pendant, Artémis. Je suis la guerrière des jumeaux, la fille sauvage qui préfère la lune aux hommes. On pourrait croire que j’envie mon frère, mais ce n’est pas le cas. Je n’habite pas dans son ombre. La lune et le soleil ont chacun leur propre façon de briller.

Satisfaite de mon tour de passe-passe et d’avoir remplacé un jumeau par un autre, je me retire. Luz et Papito ne me prêtent pas attention, trop occupés à refaire le monde avec Luca. Je sens pourtant bien un regard brun sur moi lorsque je me dirige vers la maison.

***

Il est tard, ou alors très tôt, quand les derniers invités rentrent chez eux. La chaleur californienne de l’après-midi a laissé place à la fraîcheur du soir, puis de la nuit. Cela fait longtemps que Jaime s’est endormi sur le canapé. Luz le porte nonchalamment jusqu’à sa chambre. Je suis mes deux frères du regard avec un sourire attendri. Il quitte immédiatement mon visage quand je vois mon père entrer dans la cuisine avec Luca. Les deux hommes finissent de ranger ce qu’il reste du buffet sur la table. Ce n’est pas une heure pour faire la vaisselle, mais Papi sait très bien que ma mère ne dormira pas avant que tout soit parfaitement nettoyé et à sa place.

Je suis une grande fille, je n’ai pas besoin de quelqu’un pour me tenir l’éponge ou pour essuyer les assiettes après moi. Pourtant, Luca reste planté là. Il retrousse ses manches et s’approche de l’évier. Je ne sais pas ce qu’il essaye de faire, mais je ne crois pas à son petit numéro de sauveur. J’ai une soudaine envie de lui exploser un plat sur le crâne. La seule chose qui m’arrête, c’est Nonna. Pas parce que c’est son petit-fils. Je n’aimerai pas faire de l’ombre à son enterrement en enchaînant avec d’autres obsèques le jour même. Pas sûre que le prêtre réponde à nos appels à cette heure tardive, de toute façon.

Je fais la vaisselle en silence, accompagnée de mon assistant improvisé. Je dois bien lui accorder une chose : il ne se force pas à faire la conversation et ça me plaît. Je me risque à observer ses mains alors qu’il essuie d’un coup de torchon les assiettes que je lui tends. Pas d’alliance. Pas d’attache. À son âge ? Je me risque à le juger. Ce mec est peut-être encore plus instable que je ne le pensais. Mon père finit par rentrer dans la cuisine avec une nouvelle qui ne me met pas du tout en joie : 

— Luisa, tu dormiras avec Jaime ce soir. Luca prend ta chambre.

—  Pardon ? je m’étrangle presque.

Je manque de casser le verre entre mes mains. Luca le rattrape de justesse avant qu’il ne se fracasse sur le sol.

— Je peux dormir sur le canapé, intervient l’envahisseur.

— Non, non, ne t’inquiète pas Luca, le rassure ma mère. Maria-Luisa va se faire un plaisir de te laisser sa chambre. Tu es un invité, voyons.

Le ton de ma mère ne laisse aucun doute sur ses intentions, et son regard non plus. Je n’ai pas mon mot à dire.

— Et pourquoi ma chambre ? Pas celle de Luz, ou Jaime ?

— Tu sais très bien que Luz dort avec Maritza ce soir. Jaime est déjà endormi. Ne fais pas ta difficile s’il te plaît, cariño, m’implore presque Papito.

— D’accord, donc si je comprends bien, parce que je suis célibataire et la seule fille de la fratrie, c’est à moi de laisser ma chambre ? C’est pas un peu sexiste tout ça ?

Mon père étouffe un « Dios mios »* dans sa barbe en levant les mains et les yeux au ciel. Il baragouine quelque chose en espagnol sur mon féminisme déplacé, ce qui a l’air de plaire à la sangsue qui essuie toujours les verres à côté de moi. À la maison, on parle généralement en espagnol. On fait quand même l’effort d’utiliser l’anglais quand il y a des invités. La copine de mon frère par exemple, Maritza, comprend l’espagnol mais ne le parle pas très bien. Ses parents n’accordent pas la même importance que les miens à leurs racines. En parlant de racines, je risque de manger les pissenlits par celles-ci si je ne me tais pas très vite.

La tête de ma mère est sur le point de se désaxer du reste de son corps. Si j’ouvre encore la bouche, elle va sûrement se transformer en monstre digne de l’Exorciste. Rien n’y fait pourtant, je suis lancée. Autant bien faire passer le message.

— Il a pas autre part où dormir, votre invité ?

Mon attitude me vaudrait sûrement une chaussure dans la tête et des noms fleuris si ledit invité n’était pas présent. Du coin de l’œil, je surprends Luca étouffer un rire. Il fixe l’évier afin que mes parents ne le voient pas. Les yeux de ma mère vont sortir de leurs orbites. Je ne vais pas tarder à me manger un ustensile de cuisine si je ne la boucle pas. Mon père, la voix de la raison, tente de calmer le jeu.

— On ne va pas le faire dormir chez Rosa, on n’a pas encore débarrassé la maison. Il pourra y vivre d’ici quelques jours, une fois que la folie des obsèques sera passée.

C’est à mon tour de pivoter. J’ai tourné si vite la tête que je risque d’avoir un torticolis au réveil demain matin. 

— Attendez, vous voulez dire que vous laissez la maison de Nonna à ce gars-là ?

— Légalement parlant, ils n’ont pas le choix, dit Luca. Ne t’en fais pas pour ça, Maria-Luisa…

— Luisa, je le coupe avec amertume.

Il reprend, un sourire énigmatique au coin des lèvres.

— Ne t’en fais pas, Luisa. Je n’ai pas l’intention de garder la maison, ni de rester vivre ici. Je ne reste que quelques jours, tout au plus. La baraque reviendra à ta famille une fois que j’aurais récupéré quelques souvenirs.

— J’espère bien, je crache.

— Luisa ! hurle ma mère.

— Non, non, Carmen. Je t’en prie. Laisse-la parler. Vas-y Luisa, dis-moi le fond de ta pensée.

Luca est à présent appuyé contre l’évier, bras croisés. Ses hanches étroites sont dangereusement proches des miennes. J’effectue un pas sur le côté.

— Je trouve juste bizarre qu’un inconnu réapparaisse à l’enterrement de ma grand-mère, vingt-cinq ans après l’avoir laissé tomber, c’est tout.

— Je pense que tes parents t’ont déjà raconté la raison de mon absence. Je n’avais pas vraiment le choix.

— Tu as quand même fait certains choix qui t’ont mené en prison.

Luca écarquille les yeux, surpris, mais visiblement pas blessé. Amusé, plutôt. Ma mère s’égosille déjà et mon père tente de la faire taire pour ne pas réveiller Jaime. Du coin de l’œil, je vois Luz et Maritza dans le couloir. Mon jumeau m’interroge du regard : pourquoi j’en fais tout un plat ? Moi-même, je ne sais pas.

— Luisa, soupire Papi. Ne parle pas de ce que tu ignores. Présente tes excuses et va préparer le lit pour Luca, s’il te plaît.

Plutôt crever.

Un jeu de regard s’installe entre Luca et moi. Je n’ouvre pas la bouche, menton levé. Je suis trop fière pour plier devant un inconnu. Je sais que ma mère est en train de criser mais je tiens cela d’elle. La pomme ne tombe jamais bien loin de l’arbre. J’espérais déceler de l’agacement dans les yeux bruns de Luca, mais ce n’est pas le cas. Je n’y lis même pas de frustration.

— Eh bien, il plaisante, je pensais que tes parents t’avaient mieux élevée que ça, muchacha.*

Son ton paternaliste me donne envie de lui faire bouffer sa barbe. Pour qui il se prend ? Mon père ?

— Tu pourrais très bien la corriger toi-même si ça te chante, grogne ma mère qui n’en peut visiblement plus de mon cinéma.

Je prends une expression innocente, la bouche en cœur et défie l’invité du regard. Qu’il pose une main sur moi, pour voir.

— Oh oui, Luca, je minaude faussement, penche-moi sur l’évier pour me mettre une fessée. J’ai été une très très vilaine fille.

Le fameux tío Chico écarquille les yeux, ahuri. J’entends Maritza et Luz s’étouffer de rire dans le couloir. Je crois qu’on a définitivement perdu ma mère. Mon père prie en espagnol qu’on lui donne une fille plus obéissante, tout en retenant Mama. Elle me menace de me plonger la tête dans le bac et de me laver la bouche au liquide vaisselle pour avoir parlé ainsi. Pas peu fière de mon effet, je sors triomphante de la cuisine.

Mon jumeau me tape dans la main quand je le dépasse. Comme j’y suis obligée, je me plie aux exigences de mes parents. Je défais mes draps et refais le lit pour que Luca puisse s’y mettre à l’aise. Ils n’ont rien dit sur le parfum, par contre. Je me fais donc une joie de vider la moitié de ma bouteille sur l’oreiller. Ce pendejo* d’arriviste pensera à moi ce soir. En sortant de ma chambre avec ma parure de lit, je manque de rentrer dans notre invité qui m’attend sur le pas de la porte. Mes yeux noirs rencontrent les siens.

— Je le répète, je peux vraiment dormir sur le canapé ce soir.

— Non, c’est bon, je peste. J’ai autre part où dormir de toute façon.

L’homme hausse un sourcil mais ne me questionne pas. Il fait bien.

— Je crois qu’on est partis du mauvais pied toi et moi, Luisa. On repart de zéro ?

Sa proposition est alléchante mais ne m’intéresse pas. Je reprends mon air d’ingénue pour détailler ses chaussures, puis les miennes. De manière théâtrale, je regarde ses bottes en cuir qui ont connu de meilleurs jours. Elles font tache, collées à mes sandales vernies portées pour l’enterrement. J’ai hâte de les échanger contre une paire de tennis. Je déteste ces boots et je déteste celui qui les porte. Il est déjà en train d’essayer de piétiner ma vie. 

Lentement, je relève le regard vers lui :

— Non, je crois que c’était le bon pied.

Luca rejette légèrement la tête en arrière lorsque son inspiration amusée se mue en sourire. Il me jauge un instant en silence. J’en ai fait baisser des yeux pour moins que ça. Il finit par capituler et ricane en se passant une main dans ses cheveux ébouriffés. 

— T’as vraiment le même caractère que Carmen, c’est incroyable.

— Oh, tu n’y es pas du tout “tonton”.

Il grimace à cette appellation. Je vois qu’on est sur la même longueur d’onde : ni lui ni moi n’apprécions ce faux lien de parenté.

— Ma mère est beaucoup plus gentille que moi.

Sans lui laisser le temps de répondre, je bouscule Luca de l’épaule et traverse le couloir. Je me précipite hors de la maison avant que mes parents ne s’en aperçoivent. La nuit qui m’accueille est presque rassurante. Dans la pénombre, je pourrais presque déceler le visage de Nonna. Quelque chose me dit qu’elle serait fière de moi.

 

 

* « This is why we can’t have nice things, Darling ; because you break them, I had to take them away » : « C’est pour ça qu’on ne peut pas avoir de belles choses, chéri ; car tu les casses et j’ai dû te les enlever. »

« Chico » : Garçon, gamin

« Tío  » : Oncle

« Hija  » : Ma fille

« Papito  » : Papa

« Mama  » : Maman

« Dios mios » : Mon dieu

« Muchacha » : Jeune fille, gamine

« Pendejo » : Connard

 

Lire la suite dans le chapitre 3.

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