Bonjour ! Bienvenue dans un cinquième numéro de Toss A Coin To Your Writer ! Aujourd’hui nous accueillons Anaïs Domingo, une amie chère mais également une poétesse. C’est également le premier numéro enregistré en tête à tête et non en visioconférence ! On a parlé du besoin crucial d’écrire, de féminité et féminisme, des blocage et de deuil mais aussi de sensibilité et de ventriloques (rien que ça!) Bonne écoute !

Pour des besoins de praticité, tu as sous les yeux une retranscription résumée et plus succincte de notre interview. Pour les blagues et les petites anecdotes à cœur ouvert avec Anaïs, c’est sur le podcast qu’il faut se rendre !

 

La lecture selon Anaïs Domingo :

 

Pourrais-tu te présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Anaïs Domingo, j’ai 24 ans, je suis enseignante de lettres classiques (français, latin et grec ancien) et j’écris de la poésie.

Est-ce que tu pourrais expliquer ton parcours scolaire et professionnel ? Qu’est-ce qui t’as amenée à écrire ?
C’est venu naturellement. J’ai fait un bac L (ça existait encore à l’époque). Après je suis partie sur une licence de lettres classiques mêmes si j’aurais préféré lettres modernes. Je n’avais jamais fait de latin avant la fac. En master, j’ai passé le concours CAPES pour enseigner et j’ai eu un professeur de littérature moderne, spécialisé en poésie, Monsieur Verdier. Il était génial et m’a fait aimé la poésie à ce moment-là. Avant j’aimais sans plus, je trouvais ça difficile à analyser. Il m’a prouvé que la poésie est une ouverture sur des choses géniales.

Est-ce que tu pourrais nous parler de ta relation avec la lecture ? Ce qui t’as poussée à passer à l’étape supérieure ?
Je n’aime pas trop lire… [rires] C’est tout là le paradoxe. J’ai toujours adoré écrire. En CP, ma maîtresse avait fait un recueil avec mes petites histoires. Mais la lecture c’était pas trop mon truc. Je vais lire des genres bien spécifiques comme du thriller, de la poésie ou du théâtre, de l’absurde.

Quelles sont tes inspirations ? En poésie ou en littérature ?

En Poésie, Philippe Jacottet qui habitait dans notre région. Il m’a prouvé que la poésie c’est quelque chose de visuel pas seulement musical. Ça peut être onirique. J’aime beaucoup son poème l’Effraie, très joli, très sensible.

Je n’écris pas sans musique et j’écoute en boucle les albums d’Anges Obel. Pour les thématiques, plutôt la mélancolie, l’amour triste, la nostalgie… Mon héroïne de roman préférée c’est Madame Bovary par exemple.

La poésie a souvent cette image classique, ancienne. Est-ce que tu en lis ? Est-ce que tu t’y retrouves ?
C’est toujours un plaisir d’étudier Rimbaud en classe. Sinon j’aime beaucoup Vénus Khoury-Ghata, et son recueil Lune n’est Lune que pour le chat. C’est moderne et super mystique, un peu sorcière. Sinon encore plus moderne… Rupi Kaur qu’on peut trouver sur Instagram. C’est trop libre pour certains puristes mais c’est beaucoup d’images, beaucoup d’émotions.

Tu aimes les polars et les thrillers psychologiques. Est-ce que c’est ton genre de prédilection ?
J’ai essayé avec la fac, mais je m’ennuyais un peu avec les classiques. Les personnages étaient très intéressants d’un point de vue psychologique mais j’aime quand c’est encore plus tordu [rires.] Niveau roman, y’a que les thrillers qui m’appellent. Moins le gore mais oui, j’adore le côté psychologique.

 

[Interlude du jeu de l’interview Inception à retrouver sur l’audio. Anaïs a égalisé avec le score de 15. Bravo à elle !]

 

View this post on Instagram

 

A post shared by Maëva Catalano (@maevacatalano)

La routine d’écriture en poésie d’Anaïs Domingo

Tu écris sous ton vrai nom, Anaïs Domingo, pourquoi ce choix ? Si c’était à refaire, tu changerais ?

Je ne me suis pas trop posée la question au début. Ça me dérangeait pas qu’on sache que c’était moi. Avec le recul, avec ma profession dans la fonction publique, je changerais. Certains élèves ont cherché mon recueil. Après, j’écris de la poésie, c’est moins « grave » que d’autres genres. Pour de prochains recueils pourquoi pas. J’ai écrit de la poésie érotique, si je le publie ça sera sous un autre nom.

Parle-nous de Dire Le Rien, publié il y a un an. Qu’est-ce qui t’a donné envie d’écrire ce recueil ?
J’écrivais pour ma grand-mère, qui aime bien lire mes poèmes. J’ai perdu mon grand-père et j’ai eu besoin de fixer mes émotions, ce que je ressentais à ce moment-là et tout ce que je pensais, traversé etc. C’était l’élément déclencheur. J’ai tout écrit en quelques semaines. J’ai « vomis » mon texte, j’ai « craché mes poumons. » C’était un besoin viscéral, qui sortait du fond des entrailles.

Parlons de Maisons d’Édition. La poésie est assez nichée. Comment tu as trouvé ta Maison ?
Sur Google, tout simplement mais je ne voulais pas répondre à des annonces de Maisons d’Éditions. Tu m’as parlé d’une connaissance qui a écrit de la poésie dans cette Maison, je leur ai écrit et j’ai eu une réponse très très rapide, sous trois semaines, un mois. C’était la première et la bonne.

Quel est le travail éditorial pour un recueil de poésie ?
Ils m’ont téléphone et ont analysé le recueil. J’étais bouche bée de voir ce que quelqu’un pouvait comprendre de mes écrits ou ses interprétations. Ils voulaient aussi garder la mise en page (pas de majuscules, retour à la ligne etc.) Ils m’ont imposée la couverture qui est unique pour toutes les sorties, seules les couleurs changent, que j’ai pu choisir. Le feeling est passé. C’est bête mais il y a deux semaines, j’ai capté qu’il y avait pas de sommaire ! Mais j’ai également proposé le titre et ils l’ont accepté. Ça s’est fait de manière naturelle.

Comment s’est passée la publication et distribution/vente de ton recueil ?
La Maison est assez petite mais implantée dans quelques librairies dans le Nord. Sinon j’ai eu une vingtaine d’exemplaires auteurs que j’ai pu vendre/distribuer dans mon entourage. Ensuite c’est beaucoup d’impressions à la demande. Ça reste très exclusif. J’ai eu un article dans le journal à Nîmes, ça a relancé un peu le phénomène. Ça ne m’a pas dérangé de m’en occuper mais j’aurais beaucoup aimé voir mon bouquin en librairie, ça fait toujours plaisir. Je ne l’ai pas vécu.

Quand tu rédiges, est-ce que tu obéis à certaines règles ? Tu te poses une structure ou tu est libre ?
Je ne me mets aucune règle, je joue avec le forme de la poésie. De temps en temps, quand l’inspiration manque, je me mets des contraintes d’écriture. C’est assez paradoxal mais ça libère l’inspiration car je suis concentrée sur la forme et non le fond. Les contraintes de l’Oulipo ou de Georges Perec (l’absence du -e), mes élèves adorent ça. Ils voient ça comme un défi, un jeu.

Pourquoi ces choix de mise en page, ces jeux de forme ?

C’est irrégulier, mon recueil n’a pas tout le temps la même forme, longueur etc. C’est différent. Personnellement, je n’ai pas trop réfléchi, c’est automatique. C’est joli, c’est en rapport avec ce que je dis, voilà. C’est de l’amusement. C’est aussi ça la littérature, je le vois comme ça…

Tu abordes divers thèmes dans Dire Le Rien : la vie, le deuil, l’espoir, le renouveau, la féminité, la mélancolie, la mythologie etc.) Pourquoi les avoir choisi ?
Beaucoup m’ont dit « wow Anaïs, t’es super triste. » C’est assez noir mais le recueil date d’une période difficile. Mes thèmes préféré ont toujours été la mélancolie, la solitude… Je ne sais pas si c’est à cause de mon signe astrologique (poisson) [rires.] Je me remets tous les jours en question du matin au soir et je n’arrive pas à écrire des poésies légères et joyeuses. La poésie me rappelle et me raccroche à quelque chose d’égocentrée, de nostalgique, à ma façon de ne pas comprendre mon monde. J’ai beau rejeter ces sujets, ils reviennent tout le temps. Je commence souvent mes poèmes par « je » et j’essaye de passer outre.

Ça fait deux ans que je suis heureuse, ça fait deux ans que je n’ai pas écrit grand-chose (sans rentrer dans le cliché de l’artiste torturé) Tu vas à l’opposé de ce que tu vis. L’acte d’écrire, c’est une certaine introspection, c’est ton subconscient qui parle, tu peux être attiré par l’opposé de ta vie.

Tu parlais tout à l’heure de poésie érotique. Est-ce que c’est différent pour toi d’écrire de la poésie mélancolique et érotique ? Même si c’est abstrait ?

Pas vraiment différent. C’est des images qui viennent, comme le plaisir, ça monte, c’est parfois violent. Je me suis mise à écrire un soir, j’en ai écrit 10 d’un coup puis pendant trois mois plus rien. Je vais avoir des pics d’inspirations, à la limite dans le désordre dans ma tête, puis ne plus avoir envie d’y revenir ou même de me relire. C’était la même chose pour mon premier recueil. Du coup j’ai du mal à me relire ou entendre les autres me lire. Pour la poésie érotique, j’appréhende un peu, j’ai peur des réactions. La poésie est très intime.

Tu véhicules beaucoup d’idées féminines et féministes. Est-ce que tu puises dans ton quotidien ?
Les quelques poèmes de Dire Le Rien qui parlent de la femme, je me corresponde plus. Je les trouve un peu bébé. J’essaye de m’instruire tous les jours et en deux ans, j’ai changé. En écrivant je libère quelques pensées, mais pas en tant que porte parole. C’est un exercice pour moi, en tant que femme, de m’imposer en tant que femme en poésie.

Les écrits restent alors qu’on évolue et parfois on a plus envie d’en parler. En même temps c’est beau parce qu’on voit sa progression mais on ne se reconnaît pas non plus nécessairement dans les rédactions du passé.

Par exemple, j’ai une phrase qui ne me correspond plus «  je ne suis pas qu’un -e muet ». Aujourd’hui je la relis, et je ne la trouve plus pertinente alors que durant mes études, mon mémoire, ça me semblait bien .

Peux-tu nous lire un de tes poèmes ?
[lecture du poème intitulé Parler] J’aime beaucoup l’opposition entre les verbes dire et parler. À ce moment-là je me parlais à moi-même, je me parlais à voix haute. Ce poème est une contradiction, il fait référence à la difficulté presque physique de parler. Dernièrement, j’ai eu le retour d’une personne qui a fait un AVC et pour qui c’est devenu compliqué de parler. La personne a eu beaucoup d’émotion, ça la rattachait au côté physique. Je ne pensais pas avoir un tel impact. Je voulais que ce poème finisse bien mais il est triste, j’étais triste. Je finis en disant que je n’aurais jamais les mots pour dire [à mes proches] que je suis là, présente.

Parfois on dit à quelqu’un « je me sens seule », on te répond « je suis là. » « oui, mais je me sens seule. » Tu parles aux gens, tu es avec eux, mais tu es seul‧e.

Est-ce que tu aimerais écrire dans un autre registre que la poésie que tu aimerais creuser ?

J’ai essayé la nouvelle et le roman, mais je n’y arrive pas. Je ne suis pas organisée. La poésie c’est libre, tu peux passer du coq à l’âne. Alors que le roman il faut un plan, une rigueur… je n’y arrive pas. J’ai commencé à écrire une nouvelle il y a quatre ans mais je n’arrive pas à avancer, j’ai laissé tomber. Je ne suis pas faite pour ça.

C’est possible que ça me vienne de ma formation de lettres classiques. En Grec et en Latin, on a deux mots, en Français on les traduits par quinze. Au fur et à mesure, mon esprit s’est formé à la puissance des mots courts.

 

Les conseils d’écriture d’Anaïs Domingo :

 

Qu’est-ce que tu dirais à celles et ceux qui veulent écrire de la poésie ou en éditer ?
Mes élèves me disent souvent qu’ils n’ont pas d’idées, d’imagination etc. Ce qui marche bien c’est partir d’un visuel. À terme, j’aimerais écrire en lien avec des illustrations, des photos. Un visuel peut aider à amener les choses, les sentiments, décrire un moment, une envie, une émotion… Si on a pas le réflexe d’écrire, partir d’une image ou une musique, ça peut aider.

Tu es enseignante. Quels conseils tu donnerais à des élèves ou profs pour étudier la poésie ?
Ce qui marche beaucoup avec les élèves c’est qu’il faut que tout soit ludique. Je pense que la poésie peut être un bon moment à partager, à passer. On peut transformer ça en jeu comme le cadavre exquis. Un cours de Français c’est la place pour s’exprimer. Il faut libérer au max la poésie. Il n’y a pas que la versification, les rimes etc. Lire à voix haute ça peut aider, ça peut se lier avec le théâtre etc.

Tu es une personne très sensible. Est-ce que tu cultives ta sensibilité ? Comment s’y raccrocher ?
Le moment où j’écris, j’essaye de jouer mon rôle à fond. Parfois je pleure quand j’écris. J’essaye de garder ce moment en tête à tête avec moi-même. Je me détache de mon moi passé. Je ne pourrais pas écrire Dire Le Rien aujourd’hui. Dans la vie de tous les jours, c’est un complexe mais en littérature pas du tout.

C’est le cliché de l’écrivain incompris de sa société, qui est solitaire etc.

Tu as de futurs projets ?
Je suis un peu dans le flou. J’ai une douzaine de poèmes écrits, qu’il faut que je retravaille. J’aimerais travailler avec la photographie, encore plus en noir et blanc. Ça rejoint le côté mélancolique, mystique etc.

Tous les jours, je me pose la question « quel est le rôle de poète ? » Je suis obsédée par la figure du poète. J’aimerais vraiment travailler ça avec mes élèves et en poésie.

Merci Anaïs de m’avoir fait confiance et pour son intervention dans Toss A Coin To Your Writer. Retrouver son recueil en vente sur internet.

%d blogueurs aiment cette page :